Le chemin que l’on parcourt dans sa vie est, la plupart du temps, surprenant…
Lorsqu’on le regarde d’assez près, en début ou milieu de parcours, nous n’y voyons souvent que des lignes, qui parfois se recoupent, des courbes, qui parfois peuvent même nous ramener en arrière, des pointillés, des figures géométriques qui finalement semblent totalement déconnectées les unes des autres.
Mais avec le temps, en ayant respecté la patience nécessaire d’une chronologie mystérieuse, en prenant un peu de recul, et en contemplant le paysage dans sa globalité, il prend alors du sens. Et sous ce chaos apparent, la vie nous peint des lignes de forces qui semblent converger vers une cohérence intérieure, une destination que tout notre être attendait en silence, patiemment.
On peut se demander si quelqu’un ou quelque chose orchestre tout ça, mais ce qui est certain, c’est que dans le microcosme de notre existence comme dans le macrocosme dans lequel nous vivons, tout est relié, tout a du sens, et force est de constater que la plupart des hommes mettent toute leur vie à en prendre conscience.
Notre métier de praticien de la santé nous met en face de cette réalité tous les jours.
Tous les patients que nous recevons, malheureusement presque sans exception, se retrouvent en consultation dans notre cabinet car, au-delà de l’impasse thérapeutique dans laquelle ils se trouvent depuis des mois voire des années, ils cherchent à donner du sens à leur maladie ; ils cherchent à en comprendre la cause et à en avoir une vision d’ensemble.
L’hyper spécialisation qu’a nécessité l’approche structurelle de la médecine occidentale a réduit le patient à une approche mécaniste, et a sectorisé le corps humain en morceaux indépendants les uns des autres, nécessitant autant de spécialistes que de morceaux, obligeant le patient à remettre entre les mains du corps médical la totalité de son être dans un sentiment d’incompréhension, de peur et de perte totale de contrôle.
Plus préoccupant encore, en focalisant le diagnostic médical et en le limitant à l’échelle structurelle, le système de santé occidental a segmenté ces 3 entités que la médecine chinoise considère comme entièrement indissociables : le corps, l’esprit et l’âme. Cette rupture de lien qui est souvent, en partie au moins, un des facteurs déclenchants de la maladie, s’en trouve ainsi, la plupart du temps, aggravée.
Je dis souvent aux patients que leur parcours médical, en prenant l’initiative d’associer un autre système médical à leur prise en charge, est appelé à changer et qu’ils seront inévitablement conduits à changer eux-aussi.
Ce changement se met en place dès qu’ils prennent conscience qu’ils n’ont pas une maladie mais qu’ils sont malades. Cette subtilité sémantique peut paraitre anodine, pourtant, elle ouvre une voie thérapeutique que les patients n’ont, pour leur grande majorité, jamais explorée, et qui remplit le vide qui s’est lentement installé au hasard de leur pérégrination médicale ; ce même vide qui est responsable aujourd’hui d’une perte d’adhésion dangereuse dans notre système de santé pourtant tellement efficace à bien des égards.
La maladie est une inconnue qui vient perturber notre vie, un accident de parcours redoutable et intolérable qui n’a aucun sens, et que l’on attribue à une terrible malchance. La seule et unique solution, celle que l’on nous a apprise depuis notre enfance et même enseignée durant notre scolarité et nos études supérieures, est d’amener cette maladie chez le médecin afin qu’il la prenne en charge. L’ordonnance devient alors son principal adversaire et nous … devenons le simple spectateur d’un processus qui nous échappe, mais nous rassure.
Les conséquences inattendues d’une médecine trop spécialisée, qui déresponsabilise le patient est peut-être finalement là : elle l’empêche de se considérer pour ce qu’il est, un tout. On ne saurait soigner le corps comme s’il était distinctif de la personne. Et celle-ci ne saurait déléguer à une prise en charge extérieure la gestion de son corps et tout particulièrement de l’indice qui témoigne d’une souffrance.
Prendre conscience que l’on est malade est un tout autre regard sur son état de santé et sur sa vie, qui implique que nous nous sentions intégrés dans ce processus.
Du point de vue de la médecine chinoise, la maladie est le signe que l’état d’équilibre et d’harmonie interne est rompu, et que le corps ne parvient plus à prendre en charge seul ce déséquilibre. Le père spirituel de la médecine occidentale pensait la même chose quand il déclarait : « « Si tu es malade, recherche d’abord ce que tu as fait pour le devenir » - Hippocrate.
Il arrive parfois que le retour à l’équilibre se fasse rapidement et sans aide extérieure ; ces évolutions heureuses restent rares, difficiles à expliquer et surtout à reproduire.
Peut-être cela sera-t-il possible dans un avenir proche, quand l’homme aura développé une lecture plus fine de son être et de son environnement, et que son regard se sera enrichi d’une vision plus globale de sa santé ?
Mais le plus souvent le corps a besoin, en plus, d’aide spécifique pour prendre en charge des modifications lourdes et profondes nécessaires à sa réparation. Dans les 2 cas, le patient est au centre du processus, et devrait être la priorité thérapeutique.
Il est essentiel que nous, praticiens, puissions participer selon nos compétences spécifiques à cette approche globale du déséquilibre interne, en gardant à l’esprit qu’aucun système médical n’est meilleur qu’un autre, que le système médical idéal et le plus efficace pour le patient est la coopération intelligente de toutes les approches participant à sa reconstruction et à la restauration de cet état d’équilibre.
Les patients sont en quête de sens, ils sont en attente d’un nouveau système médical, pluridisciplinaire et complémentaire ; ils sont en attente d’une vision globale de leur état de santé. Nous devons expliquer, informer, aller bien au-delà de la prescription ; leur apporter des solutions leur permettant de changer leurs habitudes de vie si nécessaire, et de comprendre ce qui, à un moment ou un autre s’est brisé, ce qui a perdu du sens.
Je pense que l’homme a en lui, de manière intuitive, les connaissances indispensables pour savoir ce qui est bon pour lui, ou ce qu’il ne l’est pas ; mais cette singularité est entièrement dépendante de notre capacité à « être à l’écoute » de cette faculté à ressentir et à percevoir, à entretenir et développer ce dialogue intérieur entre l’esprit, le corps et l’âme. Ce cheminement intérieur est sans doute la clef de voûte de notre santé.
La maladie est la signature d’une perte de repère, et le patient a besoin que l’on rallume cette lumière intérieure, tel des allumeurs de réverbères.
J’aime beaucoup cette pensée de Khalil Gibran : « personne ne peut vous apprendre quoi que ce soit qui ne repose déjà au fond d’un demi-sommeil dans l’aube de votre connaissance ». Elle nous rappelle à nous, praticiens de santé, que notre rôle est aussi (et surtout ?) d’éclairer le chemin du patient pour qu’il puisse y cheminer librement, en conscience, afin de comprendre sa maladie, l’intégrer et y faire face, pour qu’il puisse faire « sa part », indispensable tant du point de vue médical qu’émotionnel et spirituel. Plus les allumeurs de réverbères sont nombreux et travaillent ensemble, plus le chemin est éclairé et lumineux…
J’ai la « chance » d’avoir eu ce chemin de vie … surprenant …
Toutes ces voies parallèles, toutes ces étapes sinueuses me permettent aujourd’hui de trouver un équilibre entre une approche scientifique et occidentale, et une vision plus globale et asiatique.
J’aime dire à mes patients qu’ils sont pour moi comme un jardin, et que ce jardin sera parfaitement entretenu s’il est travaillé par des médecines complémentaires ; il le sera d’autant plus si l’on considère le jardin comme une parcelle infime d’un univers infini comme l’est le corps d’un individu. Les ingénieurs agronomes, semblables aux médecins occidentaux, qui apporteront leur approche scientifique et structurelle et leurs outils symptomatiques, et les jardiniers, semblables aux médecins chinois et autres praticiens de santé, qui apporteront leur vision énergétique, globale et fonctionnelle et leurs outils visant à traiter le fond et la cause. Ensemble, ils proposent une prise en charge holistique, ensemble, ils font émerger un troisième niveau de soin qui découle de leur association et rend le système de santé global et cohérent.
Comme me l’a dit un ami proche avec beaucoup de poésie : « dans la nuit des temps il viendra un temps où ces deux petites poussières n’en feront qu’une ».
Ensemble, ils comblent un vide thérapeutique essentiel, au retour à la santé du patient évidemment, mais aussi et surtout un encouragement à prendre en charge son cheminement personnel : « La guérison est rendue possible à celui qui est capable de mourir à ses croyances et conviction anciennes pour renaître à une vision nouvelle de sa vie et de l’existence ».
Offrons aux patients cette coopération intelligente des systèmes médicaux qui lui permettra de comprendre les causes de ses dysfonctionnements, et d’effectuer les changements nécessaires après sa prise en charge médicale.
Dans mes premières années de pratique, un médecin cancérologue qui avait, sans le savoir, des patients en commun avec moi, été surpris de la façon dont certains réagissaient aux traitements classiques : absence d’effets secondaires, numération sanguine quasi normale, très bonne réponse aux traitements…
En creusant un peu il avait établi un lien géographique ente eux et avait découvert qu’ils avaient pour la plupart un suivi complémentaire en MTC ; il avait eu l’extrême délicatesse et le grand courage de me joindre par mail pour en discuter. Nous avons rapidement compris que nos pratiques s’enrichissaient l’une l’autre et que le grand gagnant était le patient.
Pour ce genre de maladie comme pour d’autres pathologies dégénératives, si le traitement allopathique, parfois très fort, s’avère utile et indispensable, il parait essentiel de tout mettre en œuvre pour que l’organisme le tolère au mieux et y survive, « pour ne pas mourir guérit », afin que l’acte thérapeutique soit complet et efficace pour le patient. Cela nécessite encore une fois une vision globale et une approche multidisciplinaire indispensable.
La MTC considère que l’homme est engendré par le ciel et nourrit par la terre, et qu’à ce titre, étant au centre, son équilibre est maintenu en suivant « la voie du milieu ».
Quelle belle sagesse que de comprendre que sur terre et dans l’univers tout a sa place, et participe à un équilibre indispensable, que ce qui semble opposé nous enrichit, et que la somme de 2 entités contraires forme une 3ème entité plus stable et plus riche.
Nous avons évidemment tout à comprendre de ce précepte, mais plus important encore, il est de notre responsabilité de praticien de la santé de l’appliquer dans notre pratique afin qu’un nouveau système de santé émerge, dans lequel le patient sera l’élément central.
Arnaud Korn - janvier 2019
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